L'affaire Arnold Paole
Rapport des autorités autrichiennes (1732)
En 1749, l'ecclésiastique Dom Augustin Calmet, dans sa "Dissertation sur les apparitions des Esprits et sur les Vampires et Revenants" relate le cas d'un certain Arnold Paole. Cet habitant de Medvegia, écrasé sous un chariot de foin, fut enterré de manière tout à fait normale. Trente jours plus tard, quatre personnes de la région moururent "de la manière dont meurent, suivant la tradition du pays, ceux qui sont molestés de vampires". Or, ce même Paole racontait souvent, de son vivant, qu'aux frontières de la Serbie Turque, un vampire venait le tourmenter, mais qu'il avait trouvé le moyen de s'en débarrasser en s'enduisant de son propre sang et en mangeant de la terre. Mais lorsque l'enquête voulu qu'on ouvrit sa tombe, il s'averra que sa dépouille portait tout les stigmates habituels du vampire (corps vermeil, cheveux, barbe et ongles longs, linceul couvert de sang). On fit donc venir un expert, qui le supprima comme la tradition le préconisait : pieux dans le coeur (causant, parrait-il, un effroyable cri de la part du malheureux Paole), et tête décapitée, puis brûlée. Cependant, l'affaire ne s'arrêta pas là, puisque sur les 40 tombeaux ouvert près de celui de Paole, 17 contenaient des corps présentant les mêmes signes, sans doute contaminés par ce dernier. Augustin Calmet conclu : "Toutes les informations et exécutions ont été faites juridiquement en bonne forme et attestées pas plusieurs officiers, qui sont en garnison dans le pays, par les chirurgiens majors des régiments et par les principaux habitants du lieu. Le procès-verbal a été envoyé vers la fin de janvier dernier, au Conseil de Guerre Impérial à Vienne, qui avait établi une commission militaire, pour examiner la vérité de tout ces faits". En ces temps regrettés, le vampirisme n'était pas sujet de plaisanterie.
En 1732, les autorités autrichiennes ouvrent donc une enquête sur une quinzaine de décès suspects survenus dans la localité de Medvegia, en Serbie Turque. Les témoins sont entendus puis on ouvre les tombes et on découvre sur certains cadavres les preuves incontestables que ce sont ceux de vampires : ils sont remplis de sang et ne sont pas décomposés, contrairement aux autres. Le rapport est d’un grand intérêt historique parce qu’il nous ouvre l’accès aux mentalités d’alors et révèle comment des phénomènes que la science actuelle s’est expliquée ont joué un rôle prépondérant dans la croyance aux vampires.
Ce rapport est à l’origine de la floraison des traités sur les vampires, et il a été maintes fois repris et même vivement critiqué, notamment par l’Académie des Sciences prussienne.
“Une fois signalé qu’au village de Medvegia ce que l’on appelle vampire avait tué quelques personnes en suçant leur sang, le très honorable Haut-Commandement m’a ordonné d’examiner la question à fond. Je suis parti avec deux officiers et deux chirurgiens, et j’ai mené cette enquête en présence du capitaine Gorschitz, de la compagnie des Heiduques de Stallhaltar, du Hadnagi Bariactar et des anciens du village. Je les ai entendu.
De leurs déclarations unanimes, il est ressorti d’un Heiduque du lieu, nommé Arnold Paole, s’est cassé le cou en tombant d’une charrette de foin il y a environ cinq ans. De son vivant, il avait laissé entendre assez souvent qu’un vampire l’avait persécuté prés de Gossowa, en Serbie turque, qu’il avait donc avalé de la terre de la tombe dudit vampire et s’était oint de son sang pour être délivré de ce fléau. Le vingtième ou le trentième jour suivant son décès, plusieurs personnes se sont plaintes d’avoir été affligées par Arnold Paole. Quoiqu’il en soit, quatre sujets sont morts de son fait. Pour mettre fin à ce fléau ils ont, sur les conseils de leur Hadnagi, qui avait déjà assisté à de semblables événements, exhumé Arnold Paole quarante jours après son décès ; ils ont découvert qu’il était en parfait état et non décomposé. Du sang frais a coulé de ses yeux, nez, bouche et oreilles ; sa chemises, son linceul et son cercueil étaient tout ensanglantés. Les ongles des mains et des pieds étaient tombés avec la peau, et d’autres avaient poussé, d’où ils déduisirent qu’il était un vrai vampire. Conformément à leur coutumes, ils lui ont transpercé le coeur d’un pieu ; il a alors émis un soupir bien perceptible et a saigné. Sur ce, ils ont incinéré le corps le même jour et jeté ses cendres dans le tombeau.
Les gens susdits ajoutent que tout ceux que le vampire a persécuté et tué doivent devenir vampires à leur tour. Ils ont donc exhumé et traité de la même façon les quatre personnes évoquées. Il affirme encore qu’Arnold Paole n’a pas seulement attaqué les gens mais aussi le bétail et qu’il a sucé leur sang. Comme les gens ont mangés la viande de ces bêtes, il apparaît une nouvelle fois que quelques vampires sont ici, raison pour laquelle dix-sept jeunes et vieilles personnes ont succombé en trois mois, parmis lesquelles certaines son parties en deux ou trois jours tout au plus, sans avoir été malades.
Le Heiduque Jowiza déclare ici que sa belle fille, appelée Stanacka, s’est couchés saine et dispose il y a quinze jours, mais que, vers minuit, elle s’est réveillée en hurlant horriblement et en tremblant d’effroi, se plaignant que Milloe [ou Millove], le fils d’un Heiduque, mort neuf semaines auparavant, l’avait étranglée, suite à quoi elle avait ressenti une grande douleur dans la poitrine ; elle avait décliné d’heure en heure avant de finir par trépasser le troisième jour.
Ensuite, en compagnie des anciens du village heiduque, nous nous sommes tous rendus au cimetière l’après-midi pour faire ouvrir les tombes suspectes et examiner les corps qui s’y trouvaient. Nous avons exhumé :
1. Une femme appelée Militza, âgée de soixante ans, morte de maladie au bout de trois mois et enterrée il y a dix jours. Beaucoup de sang liquide se trouvait dans la poitrine ; les viscères étaient en bon état comme chez la personne examinée précédemment. Lors de l’autopsie, tout les heiduques présents s’étonnèrent fort de voir le corps gras, déclarant tous qu’ils avaient bien connu cette femme depuis sa jeunesse et que, de son vivant, elle avait été maigre et très sèche, d’où leur stupéfaction de constater qu’elle avait engraissé dans la tombe. Selon leurs déclarations, elle était la cause des vampires actuels. N’avait-elle pas dévoré la chair des moutons qu’avaient tué les vampires précédents ?
2. Un enfant de huit jours enterré quatre-vingt-dix jours avant. Il possédait toutes les caractéristiques d’un vampire.
3. Le fils d’un Heiduque, âgé de seize ans, enterré il y a neuf semaines après être mort de maladie au bout de trois jours. On le trouva dans le même état que les autres vampires.
4. Joachim, lui aussi fils d’un Heiduque, âgé de dix-sept ans, ayant succombé à une maladie de trois jours. On l’exhuma après qu’il eu reposé en terre depuis huit semaines et quatre jours et l’autopsie révéla qu’il était lui aussi un vampire.
5. Une femme du nom de Ruscha, décédée de maladie au bout de dix jours et enterrée il y a six semaines. Beaucoup de sang frais se trouvait non seulement dans sa poitrine mais aussi au fond des ventricules ; on a constaté la même chose chez son fils âgé de dix-huit jours et mort depuis cinq semaines.
6. Il en alla de même d’une fillette de dix ans décédée il y a deux mois ; elle était dans un état identique, entière, non putréfiée, avec beaucoup de sang dans la poitrine.
7. Nous avons fait exhumé l’épouse du Hadnagi et son enfant âgé de huit semaines. Elle était morte il y a sept semaines et lui depuis vingt et un jours. Tout deux étaient complètement décomposé bien qu’ayant reposé dans la même terre et les mêmes tombes que les vampires les plus porches.
8. Un valet du caporal du Heiduque local, appelé Rhode, âgé de vingt-trois ans, emporté par la maladie en trois mois. Exhumé cinq semaines plus tard, il était parfaitement décomposé.
9. La femme de Bariactar et son fils, morts six semaines plus tôt : tout deux étaient parfaitement décomposés.
10. Sur Stanache, un Heiduque de soixante ans, mort six semaines auparavant, j’ai trouvé comme chez les autres, beaucoup de sang dans la poitrine et dans l’estomac. Tout le corps était dans le même état que celui des vampires évoqués.
11. Millo(v)e, un Heiduque de vingt-cinq ans qui avait reposé en terre depuis six semaines, présentait lui aussi les carracéristiques d’un vampire.
12. Une femme appelée Stana [ou Stanoicka], âgée de vingt ans, décédée il y a deux mois après une maladie de trois jours due à son accouchement. Avant sa mort, elle a déclaré s’être enduite du sang d’un vampire, à la suite de quoi elle et son enfant, mort peu après sa naissance et à moitié dévoré par les chiens en raison d’une inhumation superficielle, devraient de transformer en vampires. Le corps était intact et entier. A l’autopsie, on trouva une certaine quantité de sang extravasé dans la poitrine ; les vaisseaux, artères et veines, ainsi que les ventricules du coeur n’étaient pas, comme d’habitude, remplis de sang coagulé. Tout les viscères - poumons, foie, estomac, rate et intestins - étaient d’une grande fraîcheur, comme chez un homme sain ; l’utérus, cependant, était très dilaté et très enflammé extérieurement parce que le placenta et les lochies y étaient restés et se trouvaient donc en pleine décomposition. La peau des mains et des pieds, y compris les vieux ongles, se détachaient d’eux-mêmes, mais une nouvelle peau fraîche et de nouveaux ongles étaient visibles.
L’examen achevé, des Tsiganes présents ont tranché la tête des vampires et les ont brûlées ainsi que les corps, puis ils ont jeté les cendres dans la rivière Morava ; ils ont replacé les corps putréfiés dans leurs tombes. Ce que j’atteste avec le chirurgien-adjoint qui m’a assisté. Actum ut supra.
Johannes Fluchinger, chirurgien-major de l’honorable Régiment d’infanterie de Fürstenbuchl.
J.H. Sigel, chirurgien-adjoint du Régiment de Morall.
Johann Friedrich Baumgarten, chirurgien de l’honorable Régiment d’infanterie de Fürstenbuchl.
Nous, soussignés, attestons par la présente que tout ce que le chirurgien de l’honorable Régiment d’infanterie de Fürstenbuchl, ainsi que ses deux assistants cosignataires, on constaté ci-dessus à propos des vampires correspond à la réalité en tous points, et qu’ils ont, en notre présence, enquêté et examiné. Pour le confirmer, nous signons de notre main.
Source : http://oscurantis.pagesperso-orange.fr/apaole.htm