L'Ordre de Jacques Cartier
  par damino - 2542 vues - 0 com.
                    L'Ordre de Jacques Cartier
Les francophones défavorisés
Au début du 20ème siècle, les  Catholiques francophones au Canada ont beaucoup de difficulté à obtenir  des services en Français et acceptent mal de voir Rome nommer des  évêques anglophones d’origine irlandaise dans presque tous les diocèses  du Québec et de l’Ontario, sans parler du reste du pays. La situation  est particulièrement frustrante pour les Canadiens Français de  l’Ontario, heurtés par le Règlement 17 émis par le premier ministre  Ontarien James Whitney, et qui limite à une heure par jour l’utilisation  du Français à l’école.  Dans la fonction publique, à Ottawa, les  francophones ont aussi plus de difficultés que leurs collègues  anglophones à obtenir des promotions. C’est dans ce contexte que  l’ingénieur civil Albert Ménard, francophone et fonctionnaire au  gouvernement fédéral, rencontre l’Abbé François-Xavier Barrette de la  paroisse Saint-Charles d’Ottawa. 
S’approprier les tactiques de l’ennemi
Les deux hommes discutent entre autres  de l’influence des sociétés dites secrètes comme les Orangistes, les  Francs-Maçons et la Chevaliers de Colomb – largement composées  d’anglophones protestants à l’époque– sur les nominations religieuses et  politiques. L’Abbé Barrette convainc Albert Ménard de la nécessité de  fonder une organisation s’apparentant à la Franc-Maçonnerie, et qui  utiliserait les mêmes stratégies aux tactiques camouflées afin d’assurer  la survie du groupe ethnique canadien français et lui garantir un  meilleur accès aux postes de pouvoir. 
Ils réunissent donc une poignées  d’hommes dont ils connaissent les valeurs patriotiques, et tiennent une  première réunion de la société secrète des Commandeurs de l’Ordre de  Jacques-Cartier le 22 octobre 1926. Très peu de temps après, on confie à  Émile Lavoie la tâche d’élaborer un rituel d’initiation calqué sur les  rituels Franc-Maçonniques. L’Ordre est divisé en deux corps distincts :  la Chancellerie, soit le conseil supérieur qui détient l’autorité  suprême, et la Commanderie, qui s’occupe du recrutement et des réunions  sur le terrain. 
Noyautage, infiltration
Les membres de l’Ordre de  Jacques-Cartier sont recrutés très discrètement parmi les meilleures  classes de la société. On cherche avant tout des membres qui sauront  être influents dans leur milieu immédiat, dans le secteur public ou  privé. L’Ordre infiltre aussi plusieurs associations (comités de  parents, syndicats, associations de jeunes, coopératives d’épargne et de  crédit) en y recrutant des membres ou en y faisant entrer des personnes  clés, ce que les membres appellent le « noyautage ». Rapidement, des  centaines de commanderies sont crées en Ontario, au Québec, au  Nouveau-Brunswick et dans l’Ouest Canadien. 
Discrétion absolue
La discrétion est excessivement  importante pour l’Ordre, et les commanderies se réunissent dans des  lieux très banals, comme des sous-sols d’église ou des locaux  universitaires, afin de ne pas attirer l’attention. Pour entrer dans les  réunions, les membres doivent connaître un mot de passe, qui peut  changer de fois en fois. Les femmes ne sont pas admises dans  l’organisation. La Chancellerie communique ses directives aux  commanderies par l’entremise de l’Émérillon, une publication mensuelle  distribuée à tous les membres et nommée en l’honneur de l’un des navires  de Jacques-Cartier. Afin de ne pas éveiller les soupçons lorsqu’ils  parlent de l’Ordre entre eux en public ou devant leurs épouses, les  membres parlent de « La Patente », un mot fourre-tout qui ne laisse rien  deviner. Lors des quelques rencontres officielles et congrès tenus dans  des hôtels, l’Ordre utilise des faux noms pour éviter d’être repéré par  les médias. 
Une influence énorme
Tout au long des années 1930,  l’influence de l’Ordre se fait sentir à travers de nombreuses campagnes  d’envoi massif de cartes postales ou de lettres par les membres. Ceux-ci  réclament et obtiennent par exemple : le bilinguisme sur la monnaie  canadienne et les formulaires d’assurance-chômage, des émissions de  radio en Français diffusées à Radio-Canada d’Halifax aux Rocheuses, des  services en Français dans les compagnies d’utilité publique (chez Bell  Canada, entre autres), ainsi que de nombreuses nominations  d’ecclésiastiques francophones dans des écoles et des paroisses à  travers le pays. L’Ordre crée aussi la Ligue d’achat chez nous, qui  favorise l’achat local et permet à de nombreux commerçants de survivre à  la crise économique du début des années 1930. Au Québec, de nombreux  membres de la Société Saint-Jean-Baptiste sont aussi membres de l’OJC. 
Après la Deuxième Guerre Mondiale  (1939-1945), les membres de l’OJC travaillent en sous-main pour obtenir  la francisation de la toponymie du Québec (Three Rivers devient par  exemple Trois-Rivières) et jouent un rôle important dans la création  d’un drapeau pour le Canada et pour le Québec, en plus d’imposer un  nouvel hymne national, Ô Canada, qui remplace le God Save The Queen  Brittannique.  
En 1943, l’Ordre fonde la Société  Richelieu, un club social francophone, équivalent du Rotary Club, qui  sert de paravent à la fraternité tout en permettant de diffuser plus  largement ses idées. Malgré sa grande influence, l’Ordre exige toutefois  que ses membres qui souhaitent se lancer en politique active quittent  l’organisation en demandant une suspension à la Chancellerie. 
Le début de la fin
Au début des années 1960, des  dissensions surviennent entre les membres du Québec, qui souhaitent  davantage d’indépendance, et ceux des autres provinces. Charles-Henri  Dubé, un ancien membre, révèle en 1963 les secrets de l’Ordre au  magazine Maclean’s, et affirme que La Patente est un frein à la  démocratie au Québec, entrainant d’autres défections. En 1965, la  Chancellerie du Québec affronte les Chanceliers de l’Ontario, de  l’Acadie et de l’Ouest au congrès national, et revendique toujours plus  de pouvoirs pour le Québec en raison de sa plus forte proportion de  membres au pays. Les autres chancelleries ne sont pas d’accord avec le  mouvement indépendantiste québécois et votent plutôt pour la dissolution  de l’Ordre. Un communiqué est envoyé le 3 mars 1965 pour annoncer la  nouvelle à tous les membres. « Les administrateurs de  cette société ont  décrété sa dissolution en raison de l’existence et de la puissance de  nombreuses structures sociales, économiques et nationales au Canada  français et parce que, selon eux, l’Ordre a accompli sa mission. Stop.  », peut-on lire dans le télégramme. 
Les membres Ontariens auraient par la  suite crée une nouvelle société secrète, baptisée les Commandeurs de  l’Ordre des Franco-Ontariens, avec une structure identique à celle de  l’Ordre, mais on estime qu’elle a cessé ses activités vers 1971. Les  historiens estiment qu’à travers ses 40 années d’existence, l’Ordre a vu  passer plus de 70 000 membres. À sa dissolution en 1965, l’organisation  comptait 12 000 membres. 
Source : http://lesignesecret.historiatv.com/les-societes/l-ordre-de-jacques-cartier-21.html